Télémédecine, un essai transformé?
La crise que nous traversons interroge, plus que jamais, la place de la télémédecine dans l’accès aux soins. Elle pose, d’ores et déjà, la question de l’après, notamment de l’accès pour tous et notamment de ceux qui sont éloignés des usages numériques.
« En à peine deux mois, les pratiques de soins traditionnels ont été bousculées. Elles ont basculé dans la télémédecine et le télésoin : 40% des cabinets médicaux de soins primaires se sont vidés et 70% des cabinets de spécialistes ont fermé. Le modèle classique de l’exercice traditionnel « sans télémédecine » est sinistré et des aides financières deviennent nécessaires pour permettre à certains médecins libéraux de survivre ».
Cette réflexion est abondée par le compte rendu qu’Ingrid, universitaire et membre de Brie’Nov fait du webinaire sur la télésanté, animé par le professeur Pierre Simon (son blog), bien connu de notre living lab, auquel elle a pu assister.
La conférence était structurée en 3 parties:
1) Bref retour sur les tensions du système de santé avant le COVID
2) Que révèle la période COVID?
3) Quel système de santé après le COVID?
- Tensions du système de santé avant le COVID:
– échec de la mise en place des 35h à l’hôpital dans un contexte:
- a) d’augmentation du nombre de personnes âgées et par conséquent de maladies chroniques
- b) d’augmentation de passages aux urgences, en grande partie évitables
- c) de baisse du nombre de médecins mais aussi du temps de travail moyen des médecins: les jeunes générations travaillent en moyenne 40 à 45h par semaine contre 70h pour leurs aînés.
– lenteur de la transformation numérique du système de santé
C’est l’absence de volonté de l’assurance maladie qui a freiné la télémédecine. Elle n’y croyait pas et a refusé de financer. La prise de conscience n’a eu lieu qu’en 2017 pour un financement effectif à partir de 2018 alors que la politique de télémédecine datait de 2011.
Dans le médico-social et pour les maladies chroniques, les expérimentations restent rares (d’où l’intérêt et l’importance du travail sur le diabète réalisé avec Revesdiab).
2. Que révèle la période COVID?
Un usage massif de la télémédecine. En 2019: 60 000 consultations seulement alors que l’assurance maladie en prévoyait 5 000 000
En 2020: près d’1 million de consultations à fin mars avec une adhésion très rapide des médecins qui ont découvert qu’il existait une offre abondante. Le Dr Simon a recensé 140 solutions différentes mais toutes ne sont pas satisfaisantes, notamment en matière de confidentialité des données de santé.
A l’occasion du COVID, la télémédecine a été autorisée exceptionnellement par téléphone car beaucoup de français n’ont pas accès à la vidéo.
3. Quel système de santé après le COVID?
On semble annoncer une restructuration massive de l’hôpital: augmentation des salaires, augmentation du nombre de lits (pas forcément utile selon Dr Simon), création de postes, suppression du compte épargne-temps qui fait que les soignants partent deux ans avant la retraite tout en étant payés.
Sondage Harris Interactive en juillet 2019:
37% des français ont des problèmes pour se rendre au cabinet de leur médecin dans ses horaires d’ouverture (50% des moins de 50 ans)
52% ont des difficultés géographiques à se rendre chez un spécialiste
4 français sur 10 sont prêts à recourir à la téléconsultation
Sondage Harris Janvier 2020 (donc avant Covid)
92% des français ont déjà entendu parler de téléconsultation
68% ont une certaine connaissance de ce en quoi cela consiste
La télémédecine intéresse surtout les français les plus âgée (73%) et les cadres (74%)
54% se sentent mal informés
76% considèrent que c’est possible en quelques minutes (solutions offertes par les plateformes)
74% des habitants des zones rurales sont favorables à la téléconsultation (9 points de plus qu’en 2019)
58% déclarent qu’ils sont prêts à y recourir, notamment pour renouveler une ordonnance, recevoir un conseil, quand ils sont loin de leur domicile (vacances) ou quand le médecin traitant n’est pas disponible.
La téléexpertise (entre médecins) est de plus en plus utilisée pour le COVID alors qu’elle était très peu utilisée avant.
Le télésoin peut intéresser les infirmières, les kinés, les orthophonistes…
La télésurveillance peut être adaptée pour les maladies chroniques quand le patient reste à son domicile (Homespital).
La réflexion doit être poursuivie pour les personnes âgées. Les EHPAD sont-ils encore adaptés au XXIè siècle avec les risques sanitaires (la grippe y fait des ravages chaque année). Globalement la télésurveillance présente un grand enjeu en termes de qualité de vie et de coût.
Développer la télémédecine n’est pas qu’un problème d’outils numériques. Il faut aussi apprendre aux différents acteurs à travailler ensemble. Les GHT seront pleinement réussis s’ils développent des plateformes de téléexpertise ouvertes sur leur territoire.
Il faut aussi que la tarification prenne en compte les conduites vertueuses (payer aussi en fonction des actes évités et non pas des actes effectués.