Après la crise : pour un urbanisme démocratique!

25 Août 2020 | Actualité de l'innovation, Fabriques de Territoire

Alors qu’en cette période de confinement, plusieurs études font état d’un regain de désir des français pour la maison individuelle – ou du moins pour les qualités qu’elle peut offrir en terme d’espaces extérieurs, de verdure et de moindre densité – la question du modèle de nos villes (re)surgit avec force dans le débat public et médiatique. L’attrait des français pour les maisons est pourtant loin d’être un phénomène nouveau. Mais un tel désir, aussi bien attrayant puisse-t-il paraître, doit aussi nous alerter sur ses potentielles conséquences écologiques : la construction des lotissements demeure l’un des principaux moteurs de l’étalement urbain qui consomme chaque année l’équivalent de la surface de 375 projets Europacity, soit 5 terrains de football toutes les heures 24h/24h, 7j/7[1]! Outre mettre en péril les ressources naturelles et agricoles à long terme, un tel phénomène continue par ailleurs à accentuer l’effet « banlieue » à travers l’éloignement entre l’habitat, les services et les autres fonctions urbaines essentielles (commerces, lieux de travail, etc.), accentuant ainsi l’hyper-dépendance quotidienne à l’automobile. L’enjeu de la ville de demain ne doit plus être « comment nous allons construire de nouveaux quartiers tout beaux, tout neufs, toujours plus exemplaires et écologiques que les précédents » mais plutôt « comment allons- nous transformer et faire évoluer ce qu’on nous avons déjà construit, les quartiers dans lesquels nous habitons déjà pour vivre de façon plus durable, plus partagée, plus économe en énergie, pour préserver nos ressources futures ? »

Une transition écologique et énergétique efficace ne pourra donc véritablement avoir un impact réelle à l’échelle de la société que si nous agissons de façon transversale ce qui existe déjà, là où les gens habitent déjà – ou souhaitent habiter, en cessant de toujours étaler. Hors, malgré les prismes médiatiques sur la ville de demain – qui ont tendance à se concentrer sur les projets phares d’hyper-centres tels que la piétonnisation de Paris ou la rénovation de la tour Montparnasse – la majorité des français n’habitent non pas en centre-ville mais dans des milieux dits périurbains ou ruraux. Dans l’agglomération parisienne, ce sont ainsi plus de 83% des habitants[2] qui résident en dehors de Paris intra-muros, dans ce qu’on appelle communément « la banlieue ». En France plus largement, l’habitat individuel – généralement situé en périphérie des cœurs de villes – représente l’écrasante majorité du parc de logements actuels : près de 3 français sur 5 habitent dans une maison individuelle. Les quartiers pavillonnaires sont le cadre de vie journalier d’une large majorité de français ; les centres commerciaux, les zones d’activité et les parkings, le paysage quotidien du plus grand nombre.

Limiter l’artificialisation des terres agricoles nécessite donc de faire évoluer ces territoires pour une meilleure gestion des ressources foncières, notamment pour accueillir de nouveaux habitants mais aussi de nouveaux services; Baisser la consommation énergétique du parc bâti, induit d’une part d’isoler et rénover les anciens logements, mais aussi et surtout de mieux organiser la mobilité et les services pour réduire l’hyper-dépendance quotidienne à l’automobiles : pouvoir se rendre à pied ou à vélo dans un lieu de services, de commerces ou de travail à proximité de chez soi est la meilleure façon de réduire sa consommation d’énergie.

Mais de telles transformations ne pourront véritablement avoir lieu que si nous repensons en profondeur la culture de l’aménagement urbain et des modèles économiques qui les sous-tendent, en particulier en termes de rapport entre hyper-centres métropolitains, espaces périurbains et campagne.

Alors que les projets urbains actuels ont tendance à se limiter à des périmètres circonscrits dans l’espace (ZAC, PUP, etc.), en y concentrant les financements, les programmes mais aussi les profits, la transformation des territoires invite au contraire à une décentralisation des investissements, en faveur d’actions probablement plus modestes, mais plus nombreuses et mieux distribuées dans l’espace.

Un certain nombre de nouvelles pratiques qui se sont accentuées durant la crise sanitaire, laissent présager que de telles trajectoires ne sont pas si utopistes :

  • L’avènement du télétravail accélère des mutations qui étaient déjà à l’œuvre, en réduisant la dépendance aux pôles tertiaires et aux mouvements pendulaires qu’elles entraînent Le développement de bureaux de proximité notamment à destination de salariés en télétravail et indépendants pose la question de la pertinence des immeubles et des quartiers tertiaires et de leur pérennité dans les années à venir. La massification et l’organisation de réseaux de tiers-lieu en milieux rural et périurbain tels qu’on le voit par exemple au sein de la Fabrique de Territoire et le projet « d’Archipel de Relais des Possibles » ouvre ainsi la voie à un rééquilibrage dans les rapports entre les hyper-centre métropolitains, le périurbain et la campagne.
  • L’essor des fablabs et des « makers», qui se sont mobilisés en un temps record durant la crise pour la production de masques, de visières et autres objets à partir d’imprimantes 3D ou de simples machines à coudre, et ce dans des ateliers souvent informels ou des maisons, interroge le modèle des zones d’activité isolées de la ville. De telles initiatives laissent augurer un vrai sujet sur les usages et l’adaptation de tiers lieux à une pluralité d’actions soit sur un site mais surtout en réseau.
  • Le développement de nouveaux modes de distribution tels que les circuits courts et les AMAP mais aussi la croissance du commerce en ligne et l’émergence des « drive piétons » et « click&collect » développés par la grande distribution (sortes de points-relais franchisés) interroge sur l’avenir des zones commerciales et sur l’étendue de leur zone de chalandise. Un tel développement passe par une démocratisation des outils et des usages numériques, par l’organisation efficace de la logistique et l’identification de points relais de convergence et de rayonnement que peuvent notamment endosser les tiers lieux, conciergerie de quartier ou encore des plateformes ponctuelles de distribution.

 

Cette émancipation de programmes auparavant fortement dépendant de centralités physiques peuvent devenir de véritables outils au service d’un développement local « dézoné » – c’est à dire au bénéfice de quartiers plus mixtes en matière de programmes des territoires ruraux et périurbains.

A ce titre, les quartiers pavillonnaires présentent un énorme potentiel pour porter et accueillir ces transformations. Ces matrices de petites parcelles individuelles offrent des nombreuses opportunités pour l’élaboration de nouvelles formes d’habiter, l’accueil de nouvelles fonctions et l’invention de nouvelles typologies d’architectures via une multitude de petits projets à dimensions hyper-locales. Si l’initiative et la mobilisation des habitants sont l’une des clés pour y parvenir, de telles initiatives doivent aussi aussi s’appuyer sur l’émergence d’un écosystème dédié à travers notamment de nouveaux services immobiliers, mais aussi sur le soutien de nouvelles politiques publiques telles que par exemple :

  • La mise en place d’un fond pour la transformation écologique et sociale des quartiers pavillonnaires destiné par exemple à l’amorçage des projets, à l’image de l’écosystème de soutien à entrepreneuriat (subvention innovation amorçage, prêts garantis, etc.).

 

  • L’adaptation des réglementations d’urbanisme – aujourd’hui beaucoup trop complexes et conservatrices – pour permettre une plus grande mixité d’usages et plus de mutualisation; en particulier sur le sujet de la mobilité avec, par exemple, la création de parkings de proximité / mobilité partagé
  • Elargir les dispositions légales de l’habitat participatif (instituée par la Loi Alur de 2014) à d’autres formes d’objets que le seul logement principal, notamment au service de projets pouvant coupler activités (activités, tiers-lieux) et investissements locatifs.

Faire une surélévation pour accueillir de nouveaux logements, étendre et transformer une maison en plusieurs habitats avec un jardin partagé, réhabiliter un garage en bureau de proximité ou en atelier de quartier ; construire un nouveau bâtiment dans une dent-creuse pour y accueillir un tiers-lieux…en somme favoriser les initiatives individuelles ou groupées dans des projets de transformation et de développement local du périurbain et du rural, pourrait permettre d’ouvrir le nouveau chapitre d’un urbanisme « post-pétrole » tourné vers un avenir durable, solidaire, et démocratique.

 

IUDO
(Benjamin Aubry, Nicolas Bisensang, Erwan Bonduelle)
Mai 2020 (texte ré-édité pour BrieNov en août 2020)

A propos de IUDO

Créée en 2018, suite à l’expérimentation-exposition “Transformations pavillonnaires”, iudo est une startup qui développe des outils numériques pour l’aide à la décision immobilière et des services d’accompagnement à l’auto-promotion immobilière. Lauréat de FAIRE Paris en 2018, incubée dans le pôle immobilier de demain de Paris&co et soutenue par la BPI, iudo a accompagné depuis sa création une vingtaine de propriétaires, développer des liens étroits avec de nombreux partenaires institutionnels et business, et s’apprête à sortir la V1 d’une application numérique d’aide à la décision immobilière au 3e trimestre 2020. IUDO est intégré dans le dispositif Activateur Numérique de Brie’Nov.

Tribune originale éditée pour le Pavillon de l’Arsenal

[1] Source : Sylvain GRISOT, Manifeste pour un urbanisme circulaire, P.25, Ed: .Dixit.net

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