Révolution

Nous relayons cet entretien avec Alain d’Iribarne, publié dans la lettre de Zevillage à laquelle nous vous conseillons de vous abonner.

« Cette semaine, dans notre rubrique “invité” je reçois Alain d’Iribarne, économiste et sociologue du travail, directeur de recherche honoraire au CNRS.

Comme tous les invités de cette série, Alain répond à notre question : « Quel est, selon vous, le changement le plus important en cours dans le monde du travail, celui qui a le plus de conséquences ?« 

 

Alain d’Iribarne, sociologue et économiste

Si on veut bien considérer ce qui s’est passé dans le monde depuis le début des années 2000, contrairement à ce qu’on peut lire souvent, les principaux points de rupture pour le travail demain viendront moins des innovations technologiques dont bien évidemment les diverses applications de l’IA, que des évolutions dans les normes d’organisation du travail et d’usages des immeubles de bureaux.

C’est qu’à la suite de l’expérience acquise durant les confinements, tout converge vers l’instauration à partir du travail dans les bureaux d’une nouvelle norme de travail hybride qui devrait se stabiliser autour de deux à trois jours de travail par semaine dans son immeuble de bureau, avec une très grande dispersion entre les formules possibles.

Dans cette perspective, des études empiriques montrent qu’introduire un à deux jours de télétravail par semaine ne changeait pas grand-chose ni d’un point de vue managérial, ni du point de vue psycho-affectif pour les collaborateurs.

En revanche, passer à du travail à distance intensif – soit trois jours et plus de télétravail par semaine -, provoquera surtout en France, une véritable révolution pour tout le monde dans la mesure où les locaux de l’entreprise employeur ne seront plus les lieux principaux de travail des salariés.

Pour les salariés, le domicile devient le lieu dominant du travail avec toutes les conséquences que cela peut avoir aussi bien en matière d’aménagement et en équipement de l’habitat qu’en matière de mode de vie : les domiciles et les espaces urbains associés devenant les lieux principaux de socialisation au détriment des espaces liés aux immeubles, lieux de travail traditionnels.

On peut entrevoir à travers ces déplacements des centres de gravité tous les bouleversements qui s’opéreront aux niveaux socio-psychologiques de chacun, mais aussi dans la morphologie des agglomérations et plus largement dans la répartition des activités sur notre territoire.

Pour les managers (déjà perturbés par les conséquences de l’arrivée des open space complétée par la mise en place de multiples lieux de travail légitimes connexes et la mise en place des flex office), cette nouvelle étape de déstructuration des lieux et temps de travail constitue une révolution.

Elle est pour eux d’autant plus forte qu’ils restent ancrés dans la grande tradition française d’un management a fort contenu de suspicion favorisant un contrôle de proximité de visu.

Une telle situation est susceptible de provoquer pour certains managers une souffrance d’autant plus grande qu’ils se retrouveront souvent en situation de porte-à-faux entre leurs dirigeants et leurs collaborateurs. De plus, de nouvelles questions se posent à eux : Quel est leur cahier des charges dans ce nouveau contexte ? Et jusqu’où pourront-ils légalement faire intrusion dans la vie domestique de leurs collaborateurs sans risquer d’être traînés devant les tribunaux et d’être condamnés au civil comme au pénal ?

Enfin pour les Directions administratives et financières représentant les intérêts économiques des Directions générales des entreprises, cette nouvelle évolution constitue potentiellement d’autant plus un pain béni qu’a lieu en parallèle une accentuation du nomadisme, celui-ci consistant à travailler ailleurs que dans son immeuble de bureau, aussi bien chez soi en home office, que dans des tiers lieux espaces de coworking, ou même dans toutes sortes d’endroits tels que les transports en commun, les hôtels, les restaurants, etc.

Les dirigeants voient en effet dans ce grand basculement les gains économiques que représenterons les réductions drastiques des surfaces dédiées à l’hébergement de leurs collaborateurs, combinés à des gains dans les bilans environnementaux liés à la réduction des trajets domicile travail. Mais aussi, pourquoi pas, à une réduction du nombre de jours d’axé aux immeubles de bureaux.

Dans le même esprit de réduction et de flexibilisation des coûts, ils voient arriver d’un bon œil ces nouvelles générations de tiers-lieux et espaces de coworking qui leur permettent d’introduire de la liquidité dans la gestion d’un immobilier jusque là peu liquide.

En fait, il faut bien avoir conscience qu’au delà de ces aspects en apparence très techniques, ce qui est en cause c’est potentiellement toute une transformation du statut salarial et plus largement des rapports sociaux de production tels qu’ils se sont construits en France depuis le Front populaire ».

On peut légitiment imaginer l’impact ce que peut engendrer cette métamorphose, dont nous n’avons pas fini de mesurer les conséquences, bénéfiques et problématiques, sur la société française en général….

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