Un plan social déguisé?

Nous relayons cet article paru dans Novethic

« Et si l’obligation de revenir au bureau était une manière de pousser vers la sortie des salariés ? C’est ce que pensent plusieurs experts alors qu’une grève a éclaté chez Ubisoft après l’annonce de retour au bureau. Des entreprises pionnières comme Amazon, Disney ou JP Morgan font également machine arrière.

C’est une mobilisation dont le motif peut paraître assez surprenant à prime abord. Mardi 15 octobre les salariés d’Ubisoft ont lancé un mouvement de grève de trois jours pour dénoncer le retour obligatoire dans leurs locaux au moins trois jours par semaine. Fini le télétravail à volonté. Le mouvement a mobilisé plus de 700 salariés sur les 4 000 que compte l’entreprise en France, selon une estimation du Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV), soit autant qu’en février lors d’un premier mouvement d’une ampleur inédite.

“C’est vécu comme une décision très injuste”, affirme à l’AFP Marc Rutschle, délégué syndical Solidaires Informatique, l’une des formations ayant appelé à cette grève de trois jours dans les studios français d’Ubisoft à Paris, Lyon, Montpellier et Annecy. “Quand j’ai été embauchée, j’étais en 100% télétravail et mon activité me le permet totalement”, témoigne à l’AFP Lola, 30 ans, conceptrice de jeux chez Ubisoft depuis quatre ans.

Des salariés prêts à démissionner

Si le motif de la grève est étonnant, c’est qu’Ubisoft traverse une très grave crise qui pourrait mener à un plan social. Ces derniers mois, la situation de l’éditeur de jeux vidéo s’est considérablement dégradée. En cinq ans, Ubisoft a perdu 80% de sa valeur : report de sortie de jeux, lancement raté, harcèlement sexuel… les polémiques s’accumulent. Alors pourquoi se mobiliser pour le maintien du télétravail quand la priorité est celle de la survie des emplois ? Parce que tout est lié, croit le Syndicat des travailleurs du jeu vidéo (STJV). “C’est un plan social déguisé”, témoigne auprès du site Révolution Permanente, Pierre-Etienne, délégué syndical au STJV, “la seule justification de la direction est celle de la “créativité”, comme si on était moins créatif depuis l’arrivée du distanciel.” Dans un courriel envoyé à ses salariés, la direction a en effet justifié cette décision en affirmant que “la créativité est stimulée par les interactions interpersonnelles, les conversations informelles et la collaboration autour d’une même table” – tout en promettant de ne pas revenir “à un modèle 100% présentiel“.

Interrogé par Novethic, Marc Rutschle estime quant à lui que Ubisoft n’avait pas calculé l’impact d’une telle mesure. “Dans mon unité de production, on avait fait circuler un sondage auprès des collègues, qui demandait notamment si les nouvelles conditions de travail les forçaient à la démission, et plusieurs centaines de salariés ont répondu que oui (sur 800 employés), ce qui met les projets en danger”. Ubisoft avait-il envisagé que le retour au travail engendre de telles réactions ?

Les géants de la tech veulent reprendre le contrôle

Il n’est en tout cas pas le seul à prendre ce chemin. Le 16 septembre dernier, Andy Jassy, le PDG d’Amazon, a demandé aux 300 000 salariés du géant de la tech de revenir au bureau cinq jours par semaine à partir de 2025. Après avoir été un pionnier sur la généralisation du télétravail, Amazon fait donc marche arrière. Tout comme Disney, X ou encore la banque JP Morgan. Le PDG de Tesla, Elon Musk, a imposé une règle de 40 heures minimum par semaine au bureau car le télétravail nuirait à la productivité et à l’efficacité des équipes. “Je suis déterminé à positionner cette entreprise pour une nouvelle ère de croissance […] Le retour au bureau augmentera la responsabilité et améliorera les résultats”, a de son côté commenté Bob Iger, PDG de Disney. Pour Karine Trioullier, spécialiste de la gestion de carrière ces annonces répondent à tout cas à un objectif : “créer de l’insatisfaction pour réduire les effectifs en douceur”.

“Quand on regarde ces entreprises concernées – CapGemini, Ubisoft, Amazon -, on remarque que ce sont des groupes qui veulent soit se débarrasser d’une partie de leur masse salariale, soit la renouveler”, évoque dans l’Humanité la secrétaire nationale de l’Ugict-CGT, Emmanuelle Lavignac. “Selon notre enquête, 93 % des salariés vivent “plutôt bien” ou “très bien” le télétravail. Réduire ce droit est vu comme un bon moyen de multiplier les départs volontaires”, décrypte la spécialiste qui a créé en 2023 l’observatoire du télétravail.

Les télétravailleurs sont dans le viseur. Un sondage, de l’éditeur de logiciels Live Data Technologies cité par le Wall Street Journal a montré que la probabilité d’être licencié était 35% plus importante pour les salariés à distance. C’est d’autant plus vrai pour les Big Tech qui ont embauché à tour de bras pendant la crise sanitaire et qui licencient massivement aujourd’hui. »

A suivre

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